Jorge Luis Borges: El mar


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Côte des Arcadins © jeanmarietheodat

Côte des Arcadins, Haiti: photo by Jean-Marie Theodat, 25 May 2010


Antes que el sueño (o el terror) tejiera
mitologías y cosmogonías,
antes que el tiempo se acuñara en días,
el mar, el siempre mar, ya estaba y era.

¿Quién es el mar? ¿Quién es aquel violento
y antiguo ser que roe los pilares
de la tierra y es uno y muchos mares
y abismo y resplandor y azar y viento?

Quien lo mira lo ve por vez primera,
siempre. Con el asombro que las cosas
elementales dejan, las hermosas

tardes, la luna, el fuego de una hoguera.
¿Quién es el mar, quién soy? Lo sabré el día
ulterior que sucede a la agonía.




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cheur à la manoeuvre / Fisherman at work: photo by Jean-Marie Theodat, 25 May 2010

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Homme libre chérissant la mer / Free man cherishing the sea: photo by Jean-Marie Theodat, 25 May 2010

Au sens borgesien d’un rapport particulier avec les éléments, qui réserve une part de notre affection aux plantes, aux astres et aux autres belles choses de la terre, oui ! Au sens argentin d’une imprégnation souterraine des lieux qui finissent par absorber l’humain comme l’eau le sable qu’on y jette et transforment en racines les superficielles attaches que le hasard y a laissé traîner, oui ! Au sens poétique enfin: l’homophonie avec la mère est une très heureuse coïncidence sonore dont je sais gré à la langue française. Auprès de l’une je me sens toujours dans la proximité de l’autre. Comment expliquer sinon mon amour pour ce bleu, le sentiment non pareil de retrouvailles avec quelque chose de plus profond que moi-même et qui me parle au-delà de mes morts? Ce va-et-vient de la mer éveille en moi des souvenirs animaux, des réminiscences, confuses encore dans mon cerveau, de moments furtifs qui furent délicieux sans doute et que tout l’être s’efforcerait de retrouver intacts s’il n’était d’avance découragé par l’évidence des limites qui le séparent de ce paradis envolé.-- Jean-Marie Theodat

Jorge Luis Borges: El mar, from El otro, el mismo, 1964